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Écrire ça donne mal au ventre.

2 avril 2008

Remington 1927

Ce soir, pour mon anniversaire, Romain m’a donné un soutien-gorge en dentelle, que j’ai trouvé vulgaire.

Je ne comprends pas, je croyais pourtant avoir su lire entre les lignes : j’étais certaine qu’il m’achèterait cette vieille machine à écrire sur laquelle je m’étais extasiée lors de notre dernière virée en ville. Le brocanteur m’avait gentiment permise de l’essayer, et le bruit qu’elle faisait à chaque touche m’enchantait. Je me disais que c’était exactement ce qu’il me fallait pour enfin mettre un terme au roman que je traînais depuis des mois; je me voyais, Virginia Woolf des temps modernes, achever le prochain prix du Gouverneur Général grâce à cette merveille, fumant des cigares, buvant de l’eau minérale le matin et du whisky l’après-midi, oubliant même de manger et devenant, du coup, plus svelte et séduisante que jamais.

Je ne savais pas trop quelle attitude adopter face à ce truc rembourré dont le mandat était, de toute évidence, de me donner, grâce à une ingénieuse illusion d’optique, les seins que je n’avais pas. Ma confusion a cependant atteint son paroxysme lorsque j’ai découvert les jarretelles assorties au soutien-gorge. Je me suis surprise à visualiser l’allure que j’aurais en portant cet attirail digne d’une vieille pute en mal d’amour – ou quelque chose du genre – et j’ai pensé au voyage à Tadoussac que nous avons fait en famille alors que j’étais enfant. J’ai pensé aux baleines. Je me suis mise à pleurer.

En voyant, à travers mes larmes, se défaire les traits de son visage, j’ai réalisé qu’il ne saisissait pas l’essence de mon chagrin. Il s’attendait sûrement à ce que je fonde de bonheur à la vue de son cadeau. À ce que je mouille le plancher de la cuisine et que l’on baise sur la table. De savoir qu’il ne me comprenait pas n’a fait qu’amplifier mon désarroi. Je ne me rappelais pas avoir pleuré avec tant de vigueur dans ma vie; j’étais bien consciente de l’absurdité de cette situation, pourtant je n’arrivais pas à contrôler mes sanglots. Un à un je sentais mes nerfs lâcher.

Romain, comme à chaque fois qu’il devient, bien malgré lui, témoin d’une de mes fameuses crises – qu’il a tendance à classer parmi ces mystérieux « problèmes de femme » –, m’a demandé avec douceur, mais avec également ce que j’ai ressenti comme une pointe de condescendance, la raison d’une si grande peine. Et, comme à chaque fois, le ton de sa voix est devenu plus abrupt à mesure que je m’enfonçais dans mon mutisme. Il ne cessait de me demander ce que j’avais. À vrai dire, je me sentais envahie par une émotion plus grande que ma volonté et j’en avais presque oublié le déclencheur de tant d’émois.

Je me faisais penser à ma mère et cela me pétrifiait.

En réalisant que je ne répondrais pas à sa question, il a fini par donner un grand coup sur la table. J’ai sursauté. J’ai eu peur qu’il me frappe. Il ne m’a jamais frappée. Mais ses yeux étaient ceux qu’il a lorsqu’on fait l’amour, qu’il est soûl et qu’il me chuchote des choses desquelles je me suis toujours dit qu’il ne les pense pas et qu’elles font seulement parties du jeu.

Tout en continuant à pleurer, j’ai dit Merci pour le cadeau, merci. Je me suis enfermée avec le chat dans la garde-robe, qui est en fait plus grande que notre chambre à coucher. Que je verrouille la porte l’a mis dans tous ses états. Il a bûché dessus un instant, en criant que je ne méritais pas son cadeau. Que, de toute façon, j’avais grossi du cul, et que j’aurais l’air ridicule dedans.

Et puis, plus rien.

Il est sorti en claquant la porte.

Je me suis endormie, couchée sur le manteau de fourrure qui traînait par terre, legs familial que je porte les soirs de tempête où le vent fait descendre le thermostat à quarante degrés sous zéro. En me réveillant, j’ai vu que le chat m’avait pissé dans les cheveux.

Je suis sortie de la penderie.

Il est maintenant minuit passé. J’ai dormi plus de six heures. Romain n’est toujours pas revenu, et je ne vois aucune trace de son cadeau.

Je me demande qui le portera à ma place.

Je ne comprends pas. Je ne demandais pas grand-chose, pourtant. Tout ce que je voulais, c’était cette foutue machine à écrire.

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Écrire ça donne mal au ventre.
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